Une vague violente d’attentats terroristes déferle sur le pays. Celui-ci est le théâtre d’une catastrophe nucléaire. Une épidémie mortelle et contagieuse se répands dans la population. Celle-ci est décimée par une canicule meurtrière. Des intempéries dévastatrices s’abattent sur les villes et campagnes du Royaume. (…) Le rôle des autorités politiques — au premier rang desquelles figurent les autorités fédérales — est de faire face. Il s’agit d’imaginer et de mettre en œuvre les moyens propres à juguler la crise. Tous les moyens possibles et imaginables? Pour un gouvernement confronté à une telle situation, il peut être tentant de faire voter par le Parlement des mesures exceptionnelles, voire les adopter lui-même. Des mesures à ce point exceptionnelles qu’elles dérogent à la Constitution et spécialement aux droits fondamentaux reconnus par celle-ci. L’article 187 de la Constitution s’oppose à une telle solution.
M. Verdussen (red.), La Constitution Belge. Lignes et interlignes, p. 429)
Personne de sensé ne conteste la nécessité d’une politique Corona efficace et décisive. La Belgique est durement touchée pour la deuxième fois par la pandémie mondiale. La crise est grave et la santé publique est en jeu. Aussi désagréable que cela puisse être, une obligation de masque buccal dans les endroits où cela a du sens, une heure de fermeture ou une interdiction de rassemblement – ce sont des mesures parfaitement acceptables pour nous aussi. Néanmoins, les nouvelles mesures du gouvernement Decroo font sourciller. Pas tellement parce que seuls certains secteurs de la société sont visés – c’est un choix politique avec lequel on peut être d’accord ou pas. Non, certaines des mesures actuellement prises sont préoccupantes car elles affectent les droits les plus fondamentaux inscrits dans la Constitution belge. Et cela n’est tout simplement pas permis, dit la Constitution sans équivoque.
Art. 187. La Constitution ne peut être suspendue en tout ni en partie
L’exemple le plus flagrant d’une telle mesure contraire à la Constitution est le couvre-feu. Depuis le lundi 19 octobre, personne n’est autorisé à sortir de chez lui entre minuit et 5 heures du matin, à quelques rares exceptions près. Pas même pour promener le chien, pas même pour fumer une cigarette, même pas pour ceux qui sont à la maison et qui vivent une dépression psychologique. Sauf pour le travail, alors c’est autorisé.
Un couvre-feu va bien au-delà de l’interdiction de se rassembler, permettant aux gens de sortir, mais seulement avec un nombre limité de personnes, et à condition que les précautions nécessaires soient prises. L’interdiction de rassemblement limite votre liberté, un couvre-feu vous en prive. Il s’agit en fait d’une forme d’assignation à résidence sans qu’aucun crime ne soit commis – et ce n’est pas non plus autorisé par notre Constitution, en vertu des articles 12 et 14. En outre, il appartient à la police de déterminer si votre «excuse» pour être à l’extérieur est suffisante ou non. Cela donne un pouvoir énorme à une institution qui est déjà suprême et sur laquelle il n’y a aucun contrôle effectif.
Une simple interdiction de se déplacer est du jamais vu en Belgique. Les seuls précédents, avant que la gouverneure Berx d’Anvers ne se rende célèbre en y recourant, sont les deux guerres mondiales, car l’occupant allemand ne se considérait pas lié par l’ordre juridique constitutionnel de la Belgique, qui interdit explicitement la déclaration de l’état d’urgence. Pas vraiment de beaux antécédents. Même le comité d’experts CELEVAL, dans son dernier rapport, n’a pas du tout demandé cette mesure. Ils sont conscients des graves obstacles juridiques et soulignent à juste titre que ce sont précisément les groupes les plus précaires et les plus vulnérables, qui sont les plus durement touchés par ce type d’intervention, qu’il faut épargner.
Actions
Tout cela nous inquiète. C’est pourquoi nous avons décidé de soumettre un recours en annulation du couvre-feu à la fois au Conseil d’État et au juge en référé.